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Interview

Maéva Donlin Carion, SK 2006 : « New York : tout, tout de suite ! »

22 mars 2019 Interview

La Conformité est un pilier indispensable de la protection des banques et de leurs clients. Maeva Donlin, Director Head of OFAC Sanctions Training à New York pour BNP Paribas présente son parcours et la spécificité de ce métier exigeant.

 

En 2014, les régulateurs américains infligeaient à BNP Paribas une amende de près de 9 milliards de dollars (7,9 milliards d’euros) pour notamment avoir contourné les embargos imposés par les États-Unis à l’encontre de plusieurs pays, comme le Soudan, l’Iran ou Cuba. La banque s’est alors engagée à revoir de fond en comble son dispositif de conformité (ou compliance) avec notamment la création sur NYC d'un département appelé la Sécurité financière groupe Etats-Unis, chargé de s'assurer que la Banque respecte les lois américaines en matière de sanctions financières internationales. Maeva Donlin a rejoint ce nouveau département dès son lancement, en 2014, et joue un rôle clé dans la mise en place des formations aux dispositions législatives et réglementaires, le respect des normes déontologiques et des politiques internes de la Banque… Un service aux enjeux cruciaux :

« La conformité s'assimile à la prévention du risque, puisqu’elle permet aux banques de se prémunir contre d’éventuelles amendes notamment. Les sanctions financières internationales sont un outil utilisé par les Etats et les organisations internationales telles que l’ONU afin d’empêcher ou d’écarter les risques perçus comme une menace pour la sécurité d’une Nation, ou encore de faire respecter les normes reconnues dans le cadre de relations internationales. Nous étions dix dans le département en 2014, aujourd’hui nous sommes près de 90 personnes, nous explique la jeune Française de 35 ans. Mon équipe propose plusieurs types de formations : en ligne via du e-learning bien sûr, avec des questionnaires à valider, mais également des webinars ainsi que des échanges en face à face telles des conférences sur plusieurs jours… »

Les régulateurs, une épée de Damoclès sur les entreprises


BNP Paribas se doit d’être exemplaire vis-à-vis des Régulateurs américains et est notamment en période de probation, une véritable épée de Damoclès pour cette grande banque française qui emploie 200 000 personnes dans le monde, dont 3 000 aux États-Unis.

« Nous avons ainsi lancé en 2015 la première formation via e-learning sur le sujet des sanctions financières internationales, une formation obligatoire pour tous les employés du Groupe et nos efforts ont payé, puisque 96% des employés ont réussi le quiz final. Un véritable succès ! » Il faut dire que depuis plusieurs années, on ne compte plus les amendes colossales infligées par les régulateurs américains aux entreprises européennes comme Alstom, Crédit agricole, Total, HSBC, Deutsche Bank ou encore Commerzbank....

« Pour que rien ne m’échappe qui puisse être préjudiciable à nos activités, je dois garder les yeux ouverts sur l’extérieur et être proactive plutôt que réactive confie Maeva Donlin.  Il y a beaucoup d’aspects juridiques, mais c’est l’un des intérêts de la matière !  Je lis énormément de documents administratifs, d’articles sur le sujet, j’assiste à des webinars, des tables-rondes… C’est un métier très exigeant dans la mesure où nous sommes dans un secteur en constante évolution et sans cesse challengés par le Business lui même, le Management et les Régulateurs

La jeune maman de trois filles a débuté dans ce métier en plein essor lors d’un stage, alors qu’elle était étudiante à l’EAI Tech, à Nice (devenu le BBA de SKEMA Business School). Quatrième enfant d’une fratrie de sept, dont 6 diplômés de SKEMA, elle intègre cette école de commerce post-bac après avoir été échaudée par « un gros revers en fin de première année de prépa HEC, notamment à cause de ma faiblesse en anglais ; ce qui est assez ironique quand on y pense. » Elle part en échange 6 mois à l’université de Tulane, à la Nouvelle-Orléans. « A la suite de mon échange, j’ai intégré le service de Conformité au Crédit Agricole Paris pour mon stage de fin d’étude. Le responsable monde Conformité m’a pris sous son aile et m’a permis de partir à New York pour étendre mon stage de 6 mois, ce fut une très belle opportunité ».

Maeva Donlin réussit avec brio sa mission, « la mise en place d’un e-learning sur la culture de la conformité. Nous avons lancé une campagne de communication interne sur le sujet. A l’époque, en 2005, peu d’employés étaient familiers aux questions d’éthique et de prévention des risques ; c’était un sujet assez tacite à l’époque… Il était donc important, par le biais de ce nouvel e-learning, de présenter aux employés la marche à suivre en matière de respect de la conformité et surtout qu’ils valident cette formation obligatoire notamment parce que le Management souhaitait atteindre les 100% de succès ».


Elle est alors approchée par l’audit interne pour une embauche, mais elle n’a pas le Bac +5 exigé pour ce poste. « Quand bien même les équipes américaines locales jugeaient que mes compétences n’étaient plus à démontrer, j’ai été rattrapée par la France et cette manie de réglementer et de mettre les gens dans des cases lorsqu’il s’agit de diplômes… » Retour donc en France, à Nice, à SKEMA Business School, pour passer un mastère spécialisé en Ingénierie et Gestion Internationale de Patrimoine (IGIP). « Le Crédit Agricole Provence Côte d’Azur ayant une convention de partenariat avec cette formation, j’ai ainsi pu partir faire un VIE à Luxembourg au sein de Crédit Agricole Luxembourg, Banque Privée pour valider mon mastère ».

La crise de 2008 retarde quelques temps les projets professionnels de la jeune mariée. Elle obtient sa Green card et intègre le Crédit Agricole de New York, comme consultante en IT, en tant que Project manager.

« J’apprécie le management à l’américaine »

« Je me souviens encore de mon premier jour au bureau à New York : il ressemblait à un film ! On m’apportait des dossiers au point que j’ai fini par disparaître derrière les piles accumulées sur mon bureau. Ce jour-là, mon manager me prévient : « je ne vais pas vous demander où s’arrêtent vos limites, je les verrai par moi-même ». Il ne savait pas encore que je n’avais pas de limites (rires) !  J’ai fini par venir à bout des dossiers. L’environnement était très exigeant mais j’apprécie le management à l’américaine. En général, les Américains font confiance, délèguent et ne sont pas dans le contrôle permanent, contrairement à ma courte expérience française. En revanche, c’est sans filet ! »

Travailler d’arrache-pied lui vaut une offre interne pour travailler en tant que responsable du système de titrisation. « Évidemment c’était un challenge qui m’intéressait puisque personne n’avait réussi à en faire le tour. Je n’ai pas de diplôme d’ingénieur, mais je me suis formée sur les aspects techniques sans trop de soucis. Aux États-Unis, encore une fois, la question de la compétence ne se pose pas forcément grâce aux diplômes, mais plutôt avec l’engagement et les résultats, c’est motivant! »

En 2014, Maeva rejoint le groupe BNP Paribas : « Je suis donc revenue à mes premières amours : la conformité. Je l’admets, je suis plutôt quelqu’un de déterminé (ou têtu ?!), ce qui m’aide dans mon quotidien ici à New York. Et aussi parce que j’ai aussi un mari extraordinaire ! New York est une ville qui correspond bien à ma personnalité parce que je veux tout, tout de suite : j’ai cette soif d’apprendre, de me challenger mais aussi d’accepter des challenges, de monter les échelons tout en m’occupant de ma famille – c’est du tout en un (rires) ! Je pense que je n’aurais pas eu les mêmes responsabilités en France. Je le vois souvent lorsque je me rends sur Paris 6 à 7 fois par an, ce sont souvent pour moi les séances de travail les plus difficiles parce que l’on juge vite sur les apparences. Un jour, une personne que je formais m’a apostrophée en me demandant si je n’étais pas trop jeune pour faire ce métier… alors qu’ici on me félicite pour le travail et les tâches accomplis ; j’ai définitivement gagné le respect de mon manager et de mes pairs. » 

Ouverte à toutes les opportunités, Maeva ne sait pas si elle passera sa vie entière à New York. « La vie n’est pas forcement trop dure ici, elle est juste très chère », sourit celle qui a acquis la nationalité américaine en 2014. 


Rester exemplaire

« Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve mais avoir gravi les échelons si vite à New York n’est pas le fruit du hasard. A chaque nouvelle mission, je me dis que je ne vais pas y arriver. Mais une fois prise dans l’engrenage, je me donne à fond et curieusement plus les challenges sont difficiles plus j’ai envie de les dépasser et de me surpasser. Je sais que rien n’est jamais acquis, mais je profite de l’exposition actuelle que me donne mon métier pour continuer d’avancer, tisser des relations avec mes collègues ici à BNP Paribas et ailleurs. A mon sens, le plus important est de rester exemplaire en tant qu’individu en respectant notamment chacune des personnes avec qui j’ai la chance de travailler. Ainsi, je pense personnellement qu’il est important de mettre à profit son intelligence émotionnelle au travail, parce qu’in fine, le respect de soi et des autres, le travail en équipe et la collaboration sont des valeurs qui fédèrent les gens et finissent par payer sur le long terme. La preuve, en 2014, c’était un ancien collègue de Crédit Agricole que j’avais connu 8 ans plus tôt qui m’avait proposé de le rejoindre ! »

 

Propos recueillis par Marie-Parlange (lepetitjournal.com) pour SKEMA Alumni

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